Doser les informations dans une intrigue

Une intrigue est une suite de liens logiques. Une action engendre une réaction, qui engendre une autre action, et ainsi de suite.
Parce que dans une fiction, rien ne doit apparaître par hasard, une partie du travail de l’auteur consiste à contrôler quand et comment seront amenées les informations au sein de son récit.

À plusieurs étapes de l’écriture, j’utilise parfois un système qui me permet d’identifier les éventuels problèmes de dosage des informations. Je vais tenter de le détailler ici.

Identifier la « couleur » des séquences

Je commence par essayer d’identifier les fonctions des informations. Je les découpe en trois fonctions principales : la caractérisation, l’intrigue et l’exposition.

  • la caractérisation : l’information apporte un nouvel élément, ou renforce un élément déjà connu sur le caractère d’un personnage.
  • l’intrigue : l’information fait avancer l’intrigue.
  • l’exposition : l’information apporte un nouvel élément, ou renforce un élément déjà connu sur le monde dans lequel se situe l’histoire.

J’attribue une couleur à chacune de ces informations, j’imprime et je surligne de cette manière tout le scénario.

À noter qu’évidemment, la dynamique d’un récit veut que ces trois fonctions soient liées et ne fonctionnent pas indépendamment les unes des autres. Il s’agit donc plutôt d’identifier la ou les fonction(s) principale(s) d’une information pour vérifier leur équilibre.

L’équilibre des « couleurs »

Lorsque le scénario est découpé selon ces trois catégories, j’observe le résultat final (qu’on pourrait appeler la « balance des couleurs ») pour constater visuellement l’équilibre : Quelle est la « couleur » prédominante de chacune des séquences ? Autrement dit : cette séquence privilégie-t-elle plutôt l’exposition, l’intrigue ou la caractérisation ?

Par exemple, je vais me rendre compte que plusieurs séquences développent une action mais oublient l’arc transformationnel du personnage. Ou bien, je vais repérer un « ventre mou », un moment où l’intrigue n’avance pas durant plusieurs séquences.

Évidemment, il arrive que, pour un tas de raisons, certaines séquences soient uniquement consacrées à l’une ou l’autre de ces fonctions. Mais cette première étape de surlignage (simple et relativement rapide) me permet déjà de déceler rapidement certains soucis d’équilibre évidents, parce que je connais le scénario et l’intention des scènes.
Si cela ne suffit pas, je vais remplir un tableau de dispersion d’informations qui me permettra de les détailler encore davantage, et de cibler un problème en particulier.

Le tableau de dispersion d’informations

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Information

Quelle information est donnée au spectateur ?

C’est l’information telle qu’elle sera perçue par le spectateur.
Exemple : Jim, un homme de 41 ans, se réveille dans un appartement sale et désordonné, comme si quelqu’un avait retourné l’endroit dans tous les sens.
De cette séquence très courte, le spectateur va probablement déduire plusieurs informations : Jim vit seul, ou bien il n’a pas la tête au rangement, ou bien il est désordonné, ou bien il s’est fait cambrioler et n’a pas encore eu le temps / réussi à ranger, ou bien c’est lui-même qui a mis l’endroit dans cet état…
Le spectateur va retenir ces informations et surtout, il va vouloir qu’on les exploite (Pourquoi Jim vit-il dans ses conditions ? Est-ce qu’il lui est arrivé quelque chose ? etc etc).

MOYEN

Comment l’information est-elle amenée ?

C’est ce qui se passe exactement à l’écran ou sur le papier. Il suffit souvent de recopier la didascalie telle qu’on l’a surlignée dans l’étape précédente.
Exemple : Jim se lève sur le tas de linge qui lui a servi de lit. Il est encore dans ses habits froissés de la veille. Il jette un coup d’oeil fatigué autour de lui en constatant les dégâts.

Fonction

Quelle(s) est (sont) la (les) fonction(s) principale(s) de l’information ?

Comme nous l’avons vu plus haut, il s’agit de ces trois types de fonctions : L’intrigue, la caractérisation, et l‘exposition.
L’intrigue : L’information va faire avancer l’intrigue.
Exemple : Jim a laissé une lettre fermée au milieu du capharnaüm de son appartement. Il hésite plusieurs fois mais se refuse à l’ouvrir.
La caractérisation : L’information nous donne un nouvel élément, ou renforce un élément déjà connu sur le caractère d’un personnage.
Exemple : Le voisin du dessous frappe à la porte de Jim. La douche de Jim fuit depuis plusieurs jours et l’eau s’infiltre dans l’appartement d’en bas. Il faut qu’il s’en occupe. Jim souffle et claque la porte au nez du voisin.
L’exposition : Il s’agit d’une information qui permet au spectateur de cerner le monde dans lequel est fixée l’intrigue.
Exemple : Jim vit au-dessus de la cour d’une école ; il est réveillé tous les matins par les cris des enfants.

[Note : J’insiste là-dessus, mais il se peut que le fait que Jim habite au-dessus d’une école soit le premier élément de l’intrigue. Tout comme l’arrivée du voisin : il peut être tellement énervé par la réaction de Jim qu’il défonce la porte, entraînant une série d’actions. C’est peut-être même l’élément déclencheur de votre intrigue. C’est pourquoi il est nécessaire de bien connaître le scénario pour attribuer correctement les fonctions de chaque information.]

Type

Comment l’information est-elle apportée ?

L’information peut être apportée de manière visuelle, par l’action ou par le son.
Le visuel : L’information passe par quelque chose qui est montré à l’écran.
Exemple : Plusieurs fois, Jim passe devant l’enveloppe fermée sans la regarder. Gros plans successifs sur l’enveloppe.
Il n’y a pas d’action à proprement parler, mais ce qui est montré nous donne un élément d’information et retient notre attention.
L’action : L’information passe par une action.
Exemple : Le voisin de Jim s’énerve et commence à enfoncer la porte.
Le son : L’information passe par le son (le dialogue, le silence, les bruitages, etc).
Exemple : Les cris des enfants qui jouent dans la cour. Jim qui grimace en les entendant.

Apport

Qu’est-ce que la séquence apporte à l’histoire ?

Ici, je résume brièvement la ou les informations principales de la séquence entière, et sa place dans le récit.
Exemples : « Jim rencontre Olga, qui lui offre une cigarette. Ils ne s’apprécient pas vraiment. », ou « La banque est attaquée par une bande d’adolescents. », ou « Jim rentre chez lui en prenant le métro après le travail, comme tous les jours. »


Le tableau peut être long à remplir, mais si vous connaissez bien votre scénario, ou celui de l’auteur que vous relisez, ce sera d’autant plus rapide. Cela vous permettra par ailleurs d’affiner l’étape du surlignage, de vérifier non seulement l’équilibre des informations, mais aussi les moyens utilisés pour les transmettre, et le rythme global du récit.

J’ai créé ce tableau en fonction de mes propres méthodes de travail. Il s’agit donc d’un outil, et comme tous les outils, il peut être remanié, augmenté, diminué, retaillé en fonction des habitudes et des besoins de l’auteur.